"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé."

Voltaire

vendredi 18 mars 2011

Historique des méthodes de relaxation - Première partie

L’histoire des méthodes de relaxation a été précédée d’une très longue préhistoire qui est presque en même temps une géographie de la relaxation.

En tous temps, en tous lieux se retrouve cette vieille préoccupation humaine d’établir un équilibre de toute la vie, un rythme harmonieux entre les phases d’activité et celles de repos, entre l’effort vers un but extérieur au sujet et l’effort en vue de se reconstituer lui-même. Ces premières recherches n’ont pas toujours, et de loin, été inspirées par des préoccupations philanthropiques ou même altruistes, souvent au contraire par un souci très pragmatique et égoïste d’obtenir un meilleur rendement (du travail des esclaves par exemple) ou une meilleure organisation de soi-même. Elles ont été en général appuyées sur des arguments empruntés à des théories plus ou moins philosophiques à la recherche d’une forme de sagesse et sur l’observation des grands rythmes de la nature : jour et nuit, saisons, battements cardiaques, souffle respiratoire, plus ou moins idéalisés, édifié ou idolâtrés. C’est dire que ces considérations rejoignaient des perspectives cosmologiques beaucoup plus larges touchant parfois même à une certaine mystique. « Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait et il se reposa, et il bénit le septième jour et il le sanctifia »
dit la Genèse.

La plus célèbre expérience psychophysiologique proche de la relaxation est indiscutablement le yoga. La mentalité hindoue qui méconnaît, ou plutôt qui nie la distinction du corps et de l’âme était bien prête à concevoir cette alliance de psychophysiologie technique et de mystique pratique. Les débuts du yoga semblent remonter au 3ème et peut-être 4ème millénaire avant Jésus-Christ, bien qu’il ait été codifié surtout par Patanjali quatre ou cinq siècle après Jésus-Christ.

La racine YUG (comme dans nos langues joug) signifie que le yogi est joint, d’abord joint en lui-même dans sa totalité et non pas rattaché à quelque « autre » extérieur. Il ne s’agit pas d’une expérience tournée vers une autre personne, comme l’est dans la perspective religieuse judéo-chrétienne l’extase mystique tendue vers la personne de Dieu, ou dans le domaine des relations humaines, la relation amoureuse.

C’est au contraire une union en soi-même, une entrée en soi-même, avec une conscience lucide obtenue par une activité de soi-même sur soi. L’adepte s’efforce d’y parvenir par une longue ascèse où il ne compte que sur lui-même, grâce à un entraînement méthodique, qui, par paliers successifs, le conduit à un nouveau mode d’être. Le yoga est donc une pratique utilisant des attitudes et des conduites de plus en plus maîtrisées, exploitant le conditionnement corporel de la vie de l’esprit ; c’est en même temps un « sadhana » « tâche d’autoréalisation », une entreprise contre nature devant aboutir à la conquête de la nature intérieure, ou à un comportement autoréglé, voulu, auto-disciplinaire, individuel. Ceci conduit non à la suppression ou à la réduction des appétits vitaux, mais à leur exploitation à des fins dites mystiques – au sens hindou du terme – c'est-à-dire propres à conférer au sujet l’union de lui-même en lui-même.

C’est encore une technique psychagogique, non pas pour libérer l’esprit – qui n’existe pas en soi dans cette perspective – mais pour intégrer ou réintégrer peu à peu dans la conscience et le vouloir les rythmes respiratoires, ceux de la circulation, de l’influx nerveux, etc.

L’adepte doit toujours poursuivre cet effort qui nécessite d’être approfondi pour tendre à la possession de toutes les énergies vitales, à la commande de tous ses organes. Et comme ses sens et ses organes le mettent en rapport avec les rythmes et l’énergie cosmique, sa perception du monde et son pouvoir sur le monde pourraient s’étendre indéfiniment tandis que le monde cosmique pourrait réciproquement retentir en lui dans une sorte de fusion réciproque. On comprend que cette ubiquité, cette omniprésence soit d’obtention difficile, mais on perçoit en même temps dans quelle perspective régressive se situe cette expérience et sa signification psychanalytique, aux frontières du sentiment océanique et de l’univers prégénital, indifférencié et anobjectal[1]

L’Inde s’est toujours préoccupée de toutes ces techniques psychagogiques. Elle ne les a pas repoussées comme des tentations dangereuses ou maléfiques pourraient conduire l’homme au sentiment nostalgique de sa toute-puissance ou à se faire diaboliquement l’orgueilleux égal de Dieu. Elle s’est au contraire passionnée pour ces pratiques ascétiques dans la mesure où elles pouvaient conduire à une libération par la fusion avec le cosmos panthéifié.

Samâdhi, le recueillement, et Dhyâna, la méditation, sont les opérations décisives du yoga, dans la tradition, bouddhique. Ce sont des concentrations, démarches beaucoup plus intenses que ce que nous appelons effort d’attention. Il ne s’agit nullement d’une réflexion ou d’une rationalisation qui mettrait au premier plan la lucidité intellectuelle. Précisément il s’agit d’exclure a priori tout contenu banal de la pensée – comme le raisonnement sur des phénomènes extérieurs – pour obtenir beaucoup plus : une « application dense et tenace de la vitalité consciente sur quelque point du corps ou quelque partie du cosmos ». Ces concentrations psychophysiologiques intenses, répétées, peuvent aboutir à des intuitions plus ou moins extatiques, à des sentiments d’influence plus ou moins délirants et aussi à des gestes ou attitudes corporelles qu’on peut observer et décrire du dehors. Ces gestes extérieurs de même que les postures mentales sont étroitement impliqués dans une même jonction psychophysiologique que réalise idéalement le yoga.

Mais l’Inde ne fut pas seule à préparer – de très loin – la voie aux expériences de relaxation. Dans la même gamme panthéistique on retrouve en Iran une autre « expérience psychique », celle des soufis. Ceux-ci parviennent à une sorte d’extase ou de choc mental en perfectionnant une véritable technique de l’évanouissement.


"La Relaxation"

Dr J-G LEMAIRE

Editions : Petite bibliothèque Payot



[1] Cette remarque nous paraît très importante sur deux plans très différents : d’une part, au point de vue pratique, car elle fait comprendre la parenté de ces expériences régressives, fusionnelles, de structure prégénitale avec les expériences, fusionnelles, de structure prégénitale avec les expériences vécues de dépersonnalisation ou de transformation du schéma corporel avec ou sans angoisse que nous aurons l’occasion de décrire au cours de la relaxation.

D’autre part, sur un plan théorique, il est intéressant de noter la différence enter deux états d’esprits :

Le premier, de tradition hindouiste s’attache un sentiment autophilique très accentué, cherche à réaliser une fusion indifférenciée avec l’univers matériel et se continue en une mystique conduisant à des positions panthéistes dont l’aboutissement est le nivâna.

L’autre, d’inspiration judéo-chrétienne, culpabilise cette orientation égocentrique, favorise l’extraversion, valorise le service du prochain comme une personne distincte, et peut conduire sur le plan mystique, à l’extase, où Dieu est adoré aussi comme personne distincte par sa créature, distincte elle-même.